Revista Letras EISSN: 2215-4094 Número 57 Enero-junio 2015 Páginas de la 149 a la 177 del documento impreso Recibido: 22/2/2015 • Aceptado: 2/4/2015 |
La littérature comme voie d’accès à la culture1
(La literatura como vía de acceso a la cultura)
Juan C. Jiménez Murillo2
Universidad Nacional, Costa Rica
Resumen
El presente artículo procura explicar el papel que podría desempeñar la literatura como recurso pedagógico del profesor de francés como lengua extranjera. Se detiene, principalmente, en diversas teorías que analizan el lenguaje literario como medio de interpretar la alteridad y la propia identidad. Al ser un medio para acceder a los códigos culturales transmitidos por la lengua, propicia el conocimiento de distintas perspectivas que conllevan la competencia intercultural y lingüística.
Résumé
Le présent article vise à expliciter le rôle complémentaire de la littérature dans les classes de FLE. En s’appuyant sur théories diverses on cherche à montrer que la lecture du texte littéraire est un instrument privilégié de déchiffrage de l’altérité et l’identité propre. Voie d’accès aux codes culturels véhiculés dans la langue, elle permet l’ouverture à des perspectives favorisant l’acquisition d’une compétence interculturelle parallèlement à la compétence langagière.
Palabras clave: francés como lengua extranjera, interculturalidad, literatura
Mots-clés : français langue étrangère, interculturalité, littérature
La littérature est un universel-singulier. Elle incarne cette articulation entre l’universalité et la singularité. Les écrivains s’adressent à tout le monde et sont reçus différemment par chacun. Ils traduisent à la fois une réalité vérifiable […] et une activité sans frontières, un vécu propre…
M. Abdallah-Pretceille et Lz
« Les livres sont les abeilles transportant le vivifiant pollen d’un esprit à un autre », ainsi le célèbre poète américain James Russell Lowell définissait au xixe siècle le pouvoir diffuseur que possède la littérature à transmettre d’une génération à l’autre des savoirs. Mais plutôt que des savoirs il faudrait parler des connaissances issues de différentes conceptions culturelles à travers le monde. En effet, chaque lecture est l’occasion pour le lecteur d’un réinvestissement de lectures antérieures et le trampoline suscitant de nouvelles lectures qui s’établissent alors des liens qui unissent et dispersent à la fois ce pollen culturel au long des générations. Le code littéraire, alors, permettant le franchissement autant des frontières temporelles que géographiques assurerait la perpétuation de tout ce patrimoine culturel de l’humanité. On se propose, tout au long de cet article, d’élucider le lien indissociable existant entre littérature et culture ainsi que l’accès à l’univers littéraire dans le cadre de l’enseignement du FLE tout en s’inspirant des principes de l’approche interculturelle. Mais avant de continuer il faudrait définir le terme littérature en tant que notion polysémique.
La littérature : qu’est-ce que c’est ?
Il est difficile de donner une définition précise de littérature, du fait que celle-ci a été considérée, depuis longtemps, comme quelque chose qui va de soi, qui vaut par elle-même à cause de son caractère esthétique. C’est précisément grâce à cette condition d’esthétique pure qu’on considère cette manifestation artistique comme quelque chose qui n’a aucun sens et qui ne cherche à rien dire. En effet, la littérature comme telle, n’a jamais été définie, il n’y a pas de consensus qui puisse le faire. Plusieurs auteurs ont beau construire une définition pertinente, ils ne sont arrivés qu’à ébaucher certaines de ses caractéristiques en élargissant ainsi cette particularité d’indéfinissable. Même si ces tentatives n’ont pas été très précises, elles ont beaucoup aidé à éclaircir ce concept d’ailleurs très commun mais très difficile à expliquer.
Le poète Paul Valéry, en se servant de l’opposition entre texte littéraire et texte authentique, a essayé de s’approcher du terme littérature. Pour lui, le discours littéraire a été conçu pour amuser, il n’a pas en soi l’intention de communiquer ou d’informer. Sa création obéit, plutôt à un souci esthétique qui lui rend sa raison d’être. Pour mieux dégager le terme poésie, il le lie à la compréhension qui ne s’autodétruit jamais. Celle-ci est irréductible à l’expression d’une pensée. Lorsqu’on a qualifié ses poèmes d’incompréhensibles il a dit : « …Si l’on s’inquiète de ce que j’ai voulu dire dans tel poème, je réponds que je n’ai pas voulu dire, mais voulu faire… »3. La prose, que l’on pourrait associer au texte authentique, il l’associe à la pratique, à la quotidienneté, à une fonction instrumentale. Son but, alors, ce n’est pas de plaire mais d’informer.
De son côté, Sartre lie le concept de littérature à l’art. Dans cette même optique, Barthes établit une différence entre «écrivain» et «écrivant». Pour lui, l’écrivant est celui qui écrit pour dire quelque chose tandis que pour l’écrivain écrire c’est un verbe intransitif, c’est-à-dire il n’a pas l’intention de s’adresser à quelqu’un. Il établit, également, une opposition entre langage littéraire et langage quotidien. Le langage littéraire serait celui des poètes tandis quel le registre populaire serait celui que tout le monde emploie et qui s’approcherait du langage quotidien.
Science et littérature
À différence de la science qui cherche à tout démontrer et dont l’homme fait appel pour connaître le monde dans lequel il est immergé, le discours littéraire parle de l’homme, de ses sentiments et du monde, de ce qui échappe à toute systématisation, bref de sa culture. On ne peut pas arriver à délimiter son champ de signification car son contenu évoque des domaines très variés. Celle-ci ne peut pas exister par elle-même, elle a toujours besoin d’un public : « il y a texte parce qu’il y a lecture »4, alors une œuvre littéraire n’existe pas que dans la mesure où elle est lue. De ce point de vue, elle diffère de la science qui se développe indépendamment du public, son caractère du vrai qui la distingue, à la différence du beau qui caractérise la littérature, lui rend sa propre justification.
C’est à cause de cette différence qu’il n’existe pas une science littéraire. Il pourrait exister une science appliquée à la littérature, comme on l’appliquerait à n’importe quelle discipline, comme par exemple, l’approche structurale en l’adaptant aux contes traditionnels russes : « ...l’une (la science) s’enseigne, c’est-à-dire, qu’elle s’énonce et s’expose, l’autre (la littérature) s’accomplit plus qu’elle ne se transmet, c’est seulement son histoire que l’on enseigne… »5.
Peut-on enseigner la littérature ?
Pour certains on ne peut enseigner que la science. La littérature, à cause de son caractère irrationnel, échappe à tout enseignement. Celle-ci ne peut pas être conçue comme un savoir-faire qui serait transmis de la même manière que les autres disciplines. La littérature, présente, alors, une particularité qui n’a pas l’enseignement d’autres savoirs, du fait que son contenu plus que connaissance, elle cherche à distraire. C’est pour cela que, comme l’affirme Doubrovsky, aucune théorie de la littérature ne permet pas aux apprenants d’écrire un texte valable : « …un cours sur la poésie ne permet pas d’écrire un seul bon vers…il ne met en possession d’aucun schéma opératoire, d’aucune technique de production littéraire… »6.
Texte littéraire et texte authentique
Texte littéraire
Le texte littéraire, parmi les autres textes, possède des caractères qui le rendent privilégié. Selon H. Besse ce sont ces singularités qui l’adaptent mieux que tout autre écrit aux conditions de réception et d’assimilation dans le contexte d’apprentissage d’une langue étrangère.
Sa principale caractéristique est sa polysémie. Celle-ci permet qu’elle puisse parler à tout le monde et que tout le monde puisse le parler. C’est grâce à cette particularité que le contenu qu’elle vise à transmettre peut dépasser les limites du temps et de l’espace. Lorsque l’écrivain transforme sa pensée en des mots, il le fait pour toujours, son œuvre restera par-delà l’espace et le temps, en dépassant même les limites d’une langue. De la même manière que l’art, celle-ci présente une certaine matérialité qui surpasse les limites de l’ici et du maintenant, qui devient un éternel humain qui continuera à parler autant de fois qu’on accède à son contenu. Les apprenants peuvent s’approprier du patrimoine culturel indépendamment de l’époque où il a été écrit. Alors, contrairement aux textes extraits d’un journal, par exemple, les textes littéraires n’ont pas une existence passagère, le sens et ses qualités esthétiques perdurent : « …pourquoi l’on peut encore ressentir la grandeur et l’authenticité de la tragédie grecque et de l’épopée médiévale, bien qu’elles relèvent respectivement de l’esclavagisme antique et du féodalisme... »7.
De cette manière le texte littéraire, contrairement aux autres écrits permet une lecture plurielle, il peut être abordé sous différentes perspectives d’analyse. Il se prête, également, à de multiples lectures et à différentes interprétations ; de là, l’important espace favorisant la rencontre interculturelle avec des auteurs divers.
Le document authentique
Le document authentique, par contre, a été conçu pour fonctionner dans un contexte, en dehors duquel il perdrait son authenticité, de là son caractère monosémique, car il n’existe que par rapport au contexte. Même si dans le contexte d’apprentissage d’une langue étrangère, on tente de le reproduire, en approchant les apprenants aux conditions auxquelles il renvoie, cette reproduction ne serait qu’artificielle menant à la perte de son authenticité. Les apprenants auront, donc tendance à le concevoir en prenant appui sur leurs propres connaissances selon leur expérience du monde, il n’est pas possible d’éviter que leur propre subjectivité puisse s’en mêler. Cette influence inévitable leur empêcherait de percevoir le monde autrement que d’après leur propre regard. Cela emmènerait à des malentendus et à de fausses interprétations. H. Besse illustre très bien cette opposition entre texte littéraire et document authentique lorsqu’il affirme « qu’on ne lit pas un journal vieux d’un an, mais qu’au contraire on prend plaisir à lire un auteur de l’antiquité »8.
Le texte littéraire lieu de convergence
Le texte littéraire est un document carrefour où convergent une série d’éléments qui rendent possible un échange réciproque permettant la saisie du message qu’il comporte. Cette saisie n’est réalisable qu’après un travail de lecture permettant l’interprétation ou déchiffrage du message caché dans chaque page. Ces éléments appartiennent autant au domaine interne du texte qu’à tout ce qui lui est externe, au contexte, au lieu qui conditionne ce processus d’échange. Jean Peytard a appelé, ces éléments instances du texte littéraire.
Les instances du texte littéraire
Jean Peytard a défini le terme instance comme « à la fois un lieu du texte ou du hors-texte socio-culturel, et une dynamique, c’est-à-dire un entrecroisement d’actions et de réactions qui travaillent dans ce lieu »9. Celles-ci se classifient, à la fois, en instances situationnelles, ergo-textuelles et textuelles :
Les instances situationnelles : désignent le lieu socio-discursif où se met en place la communication, l’interdiscursivité (64).
Les instances ergo-textuelles : il s’agit du lieu où s’effectue l’acte d’écrire, donc on vise le langage comme texte à produire et à lire (67).
Les instances textuelles : il s’agit de l’aire scripturale, où sont repérables les traces de l’écriture (70).
La littérature au service de la culture
L’enseignement d’une littérature étrangère peut être conçu comme une pratique simultanée de l’identification et de la différence, suscitant l’enthousiasme et préservant en même temps l’autonomie.
Marc Lits
Le discours littéraire se distingue d’autres discours à cause de sa dimension anthropologique. Son contenu, dans la mesure où il mobilise des valeurs propres à une société donnée, permet au lecteur, après un processus d’identification des indices culturels, de s’approprier du sentiment d’identité d’un groupe social quelconque. Celui-ci présente une fonction sociale qui parle des valeurs culturelles d’une communauté, laquelle permet l’identification de diverses manières de s’exprimer. C’est pour cela que la littérature ramène aux cultures étrangères en constituant une voie d’accès à celles-ci. Elle est révélatrice d’un imaginaire social et culturel. Martine Abdallah-Pretceille et Louis Porcher, définissent le texte littéraire, de la manière suivante :
Le texte littéraire, production par excellence de l’imaginaire, représente un genre inépuisable pour l’exercice et la rencontre avec l’Autre ; rencontre par procuration, certes, mais rencontre tout de même. Produits de la culture, dans les deux sens du terme (« culture cultivée » et « culture anthropologique »), le texte littéraire retrouve progressivement ses titres de noblesse. Réduit dans un premier temps à n’être qu’un support d’apprentissage linguistique ou qu’une représentation factuelle des faits de civilisation, il est actuellement redécouvert comme médiateur dans la rencontre et la découverte de l’Autre. La littérature permet d’étudier l’homme dans sa complexité et sa variabilité10.
Considérée comme l’une des premières manifestations artistiques dont l’homme de tous les temps et de tous les pays s’est servi pour exprimer ses sentiments, la littérature constitue une projection de l’homme, une prise de conscience de sa propre vie qui met en question lui-même, en lui permettant de descendre dans son intérieur et de montrer aux lecteurs les grands problèmes qui l’ont toujours inquiété et de leur trouver une réponse.
Depuis longtemps, diverses civilisations ancestrales se sont servies de ce moyen pour inscrire leur culture et ainsi la transmettre aux autres. C’est à travers la Genèse, par exemple, que l’on peut connaître le vaste patrimoine culturel du peuple Hébreu, de même que la mythologie grecque évoque l’Antiquité en montrant la façon dont ce peuple concevait le monde. Les Mayas en Amérique Centrale ont, aussi, recueilli leurs mœurs, leurs croyances et leur histoire dans leur livre sacré le Popol-Vuh. De ce fait, le texte littéraire est un élément intégratif et identitaire des cultures autres ainsi qu’un moyen pour appréhender la dimension culturelle d’une langue. C’est dès cette optique que G. Mounin souligne la valeur anthropologique de la littérature :
La littérature reste considérée souvent comme la seule, et toujours la meilleure, ethnographie de la culture d’un pays donné, au sens propre du mot ethnographie : presque toutes les images et les idées les plus tenaces et le plus concrètes que nous avons sur les Anglais, les Russes ou les Grecs (…) sont venues (…) des œuvres littéraires...11.
Le texte littéraire est, alors, révélateur de l’imaginaire social et culturel. Il offre différentes manières de partir à la découverte d’une culture étrangère grâce à la diversité qu’elle entraîne. Ses pages ouvrent des portes sur d’autres modes de vie et de pensée, des images de soi et de l’autre, qui sont proposées au lecteur à travers des personnages imaginaires appartenant à des histoires dont l’auteur s’inspire, pour les créer, dans le contexte social et culturel où il est immergé. L’écrivain joue un rôle très important, en tant que créateur. Son intervention facilite la réconciliation entre l’universel et le singulier. Hegel décrit l’écrivain de la manière suivante : « Il s’agit de l’incarnation de l’universalité à travers une personne concrète, vivante, mortelle, qui à travers son témoignage unique, son écriture singulière, contient et traduit à la fois le tout, l’entier »12. À travers sa lecture, l’apprenant peut s’interroger sur les représentations de l’Altérité tout en explorant les identités linguistiques et culturelles.
Les littératures francophones
Les textes littéraires écrits par des auteurs francophones, ont été très peu employés en classe de FLE. Jusqu’à présent, ils ont eu une existence conventionnelle et extérieure. On ne s’en est servi que pour illustrer les discours officiels sur la francophonie. C’est pour cela qu’aujourd’hui, on préfère parler de littératures d’expression française au lieu de littératures francophones, de même la notion de francophonie est souvent employée avec un sens réducteur qui fait plutôt allusion à une connotation géopolitique.
Michel Beniamino (2003) considère que la francophonie littéraire à cause de l’ensemble de phénomènes socio-culturels qu’elle mobilise favorise la rencontre de l’Autre. Cette rencontre s’inscrit dans l’altérité en tant que véhiculaire des éléments symboliques et linguistiques qui entraîne le français parlé hors la France.
Ces littératures, écrites en français, constituent un support irremplaçable pour le lecteur car elles ont coexisté à côté de pratiques littéraires orales dans les langues autres que le français et permettent une meilleure connaissance et compréhension de ces cultures. De ce point de vue la littérature francophone contribue à la construction et le maintien des « univers symboliques », c’est-à-dire l’ensemble de traditions acceptées par les individus conformant une société déterminée. Les écrivains francophones ont employé le français à cause des raisons historiques et politiques, comme modèle de référence, comme un choix identitaire et linguistique. Au moment d’écrire, ces écrivains doivent affronter la question des interactions des langues et des littératures, la recherche de l’autonomie d’une littérature propre, la relation à leurs destinataires ainsi qu’à leur langue. Lise Gauvin, faisant référence à cette situation, donne la notion suivante d’écrivain francophone :
L’écrivain francophone, qu’il sera plus juste de désigner sous le nom de francographe, sait au départ qu’il doit s’appuyer sur des dualités croisées, souvent antagonistes, et sur des lectorats qui ne font qu’amplifier l’ambiguïté de sa situation. Ses stratégies sont multiples : elles vont de l’intégration de mots étrangers à la création lexicale en passant par la traduction en simultanée. Il parlera des greffes et de mémoires des langues, de sens connotés et dénotées, de rythmes aptes à rendre les éléments des cultures dont il sait par ailleurs qu’elles demeureront à tout jamais intraduisibles ou souterraines13.
Pour les écrivains dont le français n’est pas la langue maternelle, écrire en français est avant tout un acte traductif, non seulement de leur langue maternelle au français mais de leur culture maternelle à la culture française. L’acte d’écriture devient, alors, un acte de langage, un véritable va-et-vient entre deux cultures. L’écrivain doit chercher une sorte d’équilibre entre deux façons différentes de voir le monde. « Condamné à chercher cette autre langue ou cette troisième langue qui lui appartient en propre, il n’en participe que mieux de cette expérience des limites, avancée dans les territoires du visible et de l’indivisible, qui s’appelle Littérature »14.
Les écrivains francophones sont conscients que le fait d’employer une langue seconde pour s’exprimer constitue une problématique à laquelle ils doivent faire face, la difficulté majeure consiste à traduire la pensée de leur langue maternelle au français. Ce problème est ainsi décrit par le romancier Patrick G. Ilboudo :
Je ne peux pas dire que le français soit un instrument adéquat parce que ça me pose des problèmes de passer du morée qui est ma langue maternelle au français. Et surtout parce que dans mes écrits j’ai le souci de garder parfois la structure de la pensée africaine, du morée particulièrement. […] Soit on accepte les lourdeurs et on les garde, soit on trouve un compromis, on essaie d’aménager et parfois ce n’est pas toujours évident pour le lecteur, même pas pour vous-même. […].N’ayant pas le français comme langue maternelle parce qu’aucun de mes parents ne parle français, ce n’est pas, bien que je puisse me flatter de le connaître un peu, ce n’est pas un instrument linguistique pour faire ce que je veux.15
Le texte littéraire francophone en classe FLE
Dernièrement, certains spécialistes, notamment Marc Lits et Luc Collès, se sont intéressés à la création d’une démarche interculturelle du texte littéraire en classe FLE. Ils voient dans la francophonie littéraire un intéressant champ d’action.
Luc Collès propose une réflexion comparative entre la littérature française, belge et maghrébine dès une optique interculturelle. En valorisant les éléments culturels présents dans ces trois cultures. En outre, M. Lits souligne l’importance de la confrontation entre textes issus d’aires culturelles différentes : « La francophonie constitue un champ nouveau et actuel pour l’enseignement du français. L’apparition de textes français, issus d’identités culturelles américaines, africaines et arabes est un phénomène récent auquel il serait dommage de ne pas s’ouvrir… ».16
Ces deux spécialistes croient, également, qu’il faudrait prendre comme point de départ l’hétérogénéité culturelle qui caractérise aujourd’hui la plupart des classes de français et essayer de construire une pédagogie conforme aux principes de l’interculturel à partir des cultures d’origine des apprenants : «Si l’autre, c’est le voisin de mon banc, l’interculturel, comme l’aventure est au bout de la rue.» 17
L’enseignant de FLE pourrait, alors, prendre comme point de départ l’expérience que chaque apprenant a de sa propre culture. Il faudra le mener à une découverte des affinités, puis des différences avec les manifestations de la culture de l’autre. Il y accèdera grâce à la lecture des textes littéraires qui constitue l’intermédiaire texte-apprenant. Ce mécanisme favoriserait un croisement des regards.
De cette sorte, grâce à la sélection de différents textes, l’apprenant découvrira la réalité étrangère et se percevra, à la fois, lui-même. L’enseignant facilitera cette découverte avec des questions qu’il posera à l’apprenant et dont sa visée sera de faire réagir l’apprenant en fonction de ses propres valeurs culturelles. Ceci permettra alors de modifier, chez l’apprenant l’appréciation qu’il a d’autres cultures grâce à la confrontation aux textes tout à fait variés d’après leur origine et à l’échange qui puisse s’établir avec ses copains. La diversité de points de vue favorisera l’élaboration d’hypothèses explicatives en changeant, ainsi l’avis initial grâce à un investissement à la fois collectif et individualisé.
L’apport des sciences sociales au champ littéraire
Les approches anthropologiques, sociologiques et socio-ethnologiques du texte littéraire, sont encore peu pratiquées dans la classe de langue. Ces approches, proposent, aujourd’hui des analyses théoriques qui permettent une lecture du monde construit et interprété par l’écrivain, lequel met en jeu les représentations de l’autre, de soi, de la société et de ses différentes façons d’exprimer la culture. On distingue quatre courants existants :
Le premier courant a un étroit rapport avec l’anthropologie culturelle. Il s’intéresse à l’étude des représentations culturelles de l’autre, qui sont véhiculées dans le texte de manière implicite ou explicite. C’est notamment grâce à l’apport de Tzvetan Todorov que cette approche s’est structurée sous une forme critique qui prend parfois un rôle dénonciateur.
Cet auteur a pris comme objet d’étude la littérature française, spécifiquement certaines œuvres des philosophes du siècle des Lumières ainsi que des œuvres littéraires des romantiques. Il y cherche les traces de l’existence de l’Autre (notamment dans son pays d’origine, la Bulgarie) d’après le regard des écrivains-voyageurs. Il qualifie ces écrivains comme de faux témoins, incapables de voir l’Autre, aveugles d’une certaine manière à la différence. Cette analyse faite par T. Todorov montre comment ces écrivains reproduisent les stéréotypes et les croyances communément répandus. Avec cette attitude, ces écrivains ne font que parler davantage d’eux-mêmes et de leur société :
Mais nous apprenons quelque chose concernant le processus même de la connaissance. Notre déception signifie-t-elle qu’il faut désavouer l’exotopie, que ses avantages sont dérisoires ? Elle déplace plutôt le problème. À l’image suffisante et naïve, de l’autochtone sur sa propre culture, fait exactement pendant le tableau superficiel et condescendant peint par l’étranger : à l’infini de l’un correspond le zéro de l’autre.18
D’autres théoriciens ont développé des lectures anthropologiques et sociologiques de l’altérité et de l’identité. Suzanne Chanzan et Nia Perivilaropoulou dans Littérature et sciences sociales et François Laplantine dans Récit et connaissance ont montré les connivences conceptuelles qui s’établissent entre le champ littéraire et le domaine propre des sciences sociales.
Le deuxième courant s’apparente à l’anthropologie politique, il est représenté par Edward W. Saïd dans son œuvre L’Orientalisme, l’Orient créé par l’Occident et Culture et impérialisme. Sa démarche s’appuie sur l’analyse des œuvres britanniques issues du colonialisme ainsi que du post-colonialisme.
Ma méthode consiste à concentrer autant que possible sur des œuvres individuelles à les lire d’abord comme des grands produits de l’imagination créatrice ou théorique, puis à montrer en quoi celles participent de la relation entre culture et impérialisme. Je ne crois pas que les auteurs soient mécaniquement déterminés par l’idéologie, l’appartenance de la classe ou l’évolution économique. Mais ils sont ancrés en profondeur dans l’histoire de leur société, ils façonnent cette histoire et sont modelés par elle, ainsi que par leur vécu social, à divers degrés.19
Cette approche apporte un repérage des oppositions binaires qui fonde les rapports entre colonisateurs et colonisés, entre « nous » et « eux », mais aussi une analyse de « la pensée identitaire », notion essentiellement statique, entretenue par les différents acteurs de l’impérialisme. L’auteur se propose de focaliser les textes littéraires comme des lieux complexes d’interpénétration, car toutes les cultures sont hétérogènes, différenciées. Sur ce fait, il dit :
Nous vivons dans un monde qui n’est pas seulement fait des marchandises mais aussi des représentations et les représentations -leur production, leur histoire et leur interprétation- sont la matière première de la culture. Ce problème est le grand centre d’intérêt des nombreuses théories récentes mais elles les restituent rarement dans son contexte politique, qui d’abord l’impérialisme, […] Cette dichotomie fausse tout. Elle absolue la culture de toute relation avec le pouvoir.20
Le troisième courant, désigné comme approche sociologique est initié par Pierre Bourdieu dans Les règles de l’art. Cet auteur explore la formation et la structure du champ littéraire, en termes de luttes de positions sociales. De cette manière, il démystifie une certaine histoire de la culture et de la littérature qui sacralise les personnes. Il propose une science des œuvres. De même, Paul Dirkx expose diverses approches dans l’espace francophone, il y montre qu’une lecture sociologique des œuvres permettant de décoder les rapports de force au sein de la francophonie littéraire, qu’il désigne par francophonie des littératures dominées ou minoritaires :
Ce travail de conscientisation permet aussi d’arracher la littérature comme objet d’enquête scientifique à son statut social, non scientifique, de patrimoine d’une collectivité (national ou du type national). Mais, ici aussi, la recherche continue en règle générale de participer à la nationalisation ou l’ethnicisation implicites dans la littérature par les agents littéraires. Elle y donne prise à travers l’insertion spontanée, naturelle des textes dans un patrimoine collectif (« la littérature française », « la littérature allemande », « la littérature américaine », etc.). C’est aussi, la tâche de la sociologie de la littérature ou plus exactement de la sociologie des productions littéraires, d’y être sensible et de montrer que le discours savant, là aussi, ne fait qu’emprunter au discours du terrain à étudier21.
Le quatrième courant, traduit une approche ethnologique du récit littéraire, et est illustré par le concept d’«universel singulier» qui définit d’une certaine manière le rôle de l’écrivain comme passeur des cultures et d’univers culturels dans sa société. L’écrivain reconstruit ou retranscrit à travers une écriture singulière, les invariants culturels, universels, et spécifiques à la fois, partagés par une collectivité. C’est avec Louis Porcher que cette lecture ethnologique du texte littéraire est mise en œuvre. L. Porcher y propose une approche thématique, une étude de «thèmes partout les mêmes et partout différents». Chacun des thèmes est considéré comme un phénomène social total au sens de Marcel Mauss : phénomène à travers lequel on peut «lire» la totalité de la société concernée. Par exemple, des actes fonctionnels et symboliques de la vie quotidienne sont mis en récit par les personnages : la perception de l’espace, de la nature, l’amour, la nourriture, la mort sont abordés dans toutes leurs dimensions à travers des genres textuels différents (poésies, chanson, conte, roman, nouvelle, récit de vie, etc.).
Le tableau 1 recueille d’une manière globale les principales caractéristiques de chaque approche:
Tableau 1. Approches abordant le texte littéraire dès la perspective des sciences sociales
Type d’approche ou idéologie qui la soutient |
Principaux représentants |
Objet d’étude |
Principaux apports |
Anthropologie Culturelle |
Tzvetan Todorov (1986, 1991) ; Suzanne Chazan (1999) et Nia Perivilaropoulou; François Laplantine (1998) |
On s’intéresse à l’étude des représentations culturelles de l’Autre véhiculées dans les textes de manière implicite ou explicite. |
On explicite les traces de l’existence de l’Autre dans la littérature française et bulgare. On y dénonce l’ethnocentrisme des écrivains par rapport à l’Autre. |
Anthropologie Politique |
Edouard W. Saïd (1980, 2000) |
On fait une étude d’ouvres littéraires britanniques issues du colonialisme et du post-colonialisme. |
On montre à travers un repérage le rapport entre culture et impérialisme, entre colonisateurs et colonisés. |
Approche Sociologique |
Pierre Bordieu (1992) ; Paul Dirkx (2000) |
On explore la structure du champ littéraire en termes de luttes de positions sociales afin de démystifier l’histoire de la culture et de la littérature. |
On propose une science des œuvres Paul Dirkx propose une lecture sociologique permettant de décoder le rapport de force dans les littératures francophones. |
Approche Ethnologique |
Louis Porcher (1987) |
On illustre l’approche ethnologique du récit littéraire à travers le concept d’«universel-singulier» qui traduit le rôle de l’écrivain comme passeur de cultures grâce à l’écriture. |
On a mis en œuvre une lecture ethnologique du texte littéraire. On propose une approche thématique, c’est-à-dire l’étude d’aspects faisant partie de la vie quotidienne (l’espace, la nature, le temps, etc.) véhiculés dans des textes littéraires. |
Enseignement de la littérature
Plus que l’acquisition d’un savoir-faire, l’enseignement de la littérature aboutit à un objectif moins instrumental. Depuis longtemps, on s’est servi des textes littéraires pour enseigner la culture, étant donné leur caractère polysémique qui garantit la permanence dans le temps et qui, par conséquent, parle mieux de la culture d’origine. Cependant, on ne peut pas soumettre cet enseignement, de la même manière que celui de la culture, à un objectif instrumental, son contenu serait plutôt accessoire.
Plus que la connaissance d’une culture étrangère, à laquelle on accéderait grâce à la valeur anthropologique que certains textes littéraires présentent, il faut que l’emploi de ceux-ci, en tant que symboles culturels, favorise un accord avec l’activité de lecture, donc ce processus ne se produit que grâce à une opération d’investissement personnelle que le lecteur réalise, et qui s’appuie en une grande mesure sur les références culturelles qu’il possède. Étant donné que la lecture est une condition essentielle, voire indispensable, pour que le contenu d’un texte soit transmis, les objectifs de l’enseignement de la littérature ne doivent pas oublier celle-ci, au contraire on doit la considérer, comme l’activité par excellence où l’approche interculturelle agit.
Dans le domaine de l’enseignement d’une langue maternelle, le but principal de l’emploi du texte littéraire serait le développement d’une conscience de soi, la découverte de ses propres racines (souvent, considérées comme allant de soi) à travers l’activité de lecture :
Permettre aux élèves de s’approprier leur patrimoine littéraire (tant les auteurs du passé que les créateurs d’aujourd’hui) c’est leur donner l’unique occasion d’accéder à un univers imaginaire qui servira de fondement à la constitution de leur identité propre, en relation avec l’identité collective du groupe socio-culturel auquel ils appartiennent…22
Marc Lits affirme que l’apprentissage de la littérature est nécessaire à la constitution de l’identité personnelle et collective des élèves. L’acquisition de cette identité concerne des repères symboliques, spécifiques de toute communauté.
L’activité de lecture aurait, comme visée principale, la reconnaissance du code culturel. C’est précisément là, que l’interculturel intervient face au processus de naturalisation que toute culture présente étant donné la difficulté pour tout individu de reconnaître les traits qui identifient sa propre culture. Si cette reconnaissance est difficile dans la réalité, elle l’est aussi dans un texte. La visée principale d’une pratique de la littérature en langue maternelle serait, alors, de conduire les apprenants à la reconnaissance de leurs propres traits culturels qui, inconsciemment, il considère comme universels, voire normaux à tel point que ceux-ci ne deviennent pas perceptibles.
En langue étrangère, par contre, la pratique de la littérature étrangère a été associée, depuis longtemps, au renoncement de l’identité culturelle de l’apprenant, on l’a conçue comme un élément favorisant l’acculturation.
Cependant, une pratique adéquate de la littérature est au contraire, un facteur qui favorise tant l’échange culturel entre les sujets, que la littérature engage dans leur contenu, ainsi que celle du lecteur, qui à cause de leurs différences, s’y engage, aussi. Il s’agit de mener les apprenants socialisés dans une culture étrangère à la perception, puis à la connaissance de celle d’où découle la littérature. De cette manière, on leur démontrera que de la même manière que les sujets qui nous entourent ne peuvent pas être perçus que par soi ; soi-même ne peut pas vraiment se connaître qu’en se voyant à travers le regard d’autrui, en évitant ainsi tout risque de subjectivité.
En classe de langue étrangère, l’exploitation du texte littéraire, cherche, alors, à conduire les apprenants vers la reconnaissance de leur identité par opposition à l’Autre, et à partir de là, favoriser un regard objectif, voire tolérable, envers autrui et pousser le croisement de regards, en favorisant une confrontation interculturelle.
L’activité de lecture
…l’activité de lecture dépend moins de ce qu’il y a dans le texte que de ce qu’il y dans la tête du lecteur… 23
Le texte littéraire se distingue, comme on l’a dit plus haut, d’autres discours à cause de son caractère polysémique, mais il est vrai, aussi, qu’il ne dit rien en lui-même. C’est le lecteur qui le fait dire. La lecture est alors une construction où le sujet qui lit participe avec l’auteur d’une activation du message. Paul Valéry disait que c’est le lecteur qui crée le texte littéraire tandis que l’auteur n’était que celui qui fait créer.
Cette reconnaissance ne se réalise qu’à travers un processus d’échange-symbiose entre le destinateur et tous les possibles destinataires. C’est grâce à l’expérience de la lecture, que ces interprétations, sur des réalités sociales autres se produisent. La lecture, en tant que phénomène collectif constitue la condition d’existence du texte.
Le texte littéraire dans une approche interactive
Lire, c’est comprendre avec les yeux un message dont on a besoin, c’est attribuer du sens à l’écrit que l’on recherche sans passer par l’oral, c’est à la fois produire et trouver24
Le texte littéraire constitue un lieu d’apprentissage, un important espace permettant aux apprenants d’explorer une grande quantité d’éléments qui conforment la langue étrangère : des éléments graphiques, morphosyntaxiques, sémantiques, acoustiques, culturels, etc.
Étant donné ces conditions, l’emploi de ce support doit chercher à mobiliser les connaissances des lecteurs, les sensibiliser envers ce qu’ils vont lire, de manière qu’il puisse se produire une interaction entre la connaissance que l’apprenant a du monde et les informations qu’il trouvera dans le texte. Comme Henri Besse le dit, le document littéraire est un «lieu d’exploitation pédagogique de ce qui est en voie d’acquisition»25.
Dans le cadre d’une approche communicative axée sur une perspective interculturelle, par exemple, le texte littéraire (en même temps objet de communication et objet à propos duquel communiquer) représente un support assez riche à exploiter en classe de FLE, en abordant les quatre compétences : lecture et analyse des textes (compréhension de l’écrit), travail oral sur les aspects communicatifs du texte (expression orale et compréhension orale), démarche créatrice de production écrite favorisant l’expression personnelle (expression écrite), c’est-à-dire lier l’appropriation du texte à la pratique de l’écriture.
Francine Cicurel26, de son côté, affirme, qu’on doit favoriser l’interaction entre le texte et le lecteur. Cette interaction peut se présenter en trois dimensions possibles :
1. L’interaction dans le sens lecteur-texte : le texte ne doit pas être perçu par le lecteur comme un texte déjà là, avec un sens qui préexiste et que le lecteur doit simplement absorber, mais surtout comme un texte véhiculant un sens à construire dont l’apport de l’apprenant est d’une grande importance.
2. L’interaction dans le sens texte-lecteur : le texte peut produire différents effets sur le lecteur qui peuvent se manifester à travers la manière dont il réagit, ce qu’il ressent, s’il s’identifie avec un personnage donné, etc.
3. L’interaction entre les membres du groupe-classe : on doit favoriser le travail en groupe afin d’inciter entre les apprenants l’échange de différents points de vue d’une manière mutuelle.
Le lecteur : un être en quête de soi, de l’autre et de l’œuvre
Se comprendre, pour le lecteur, c’est se comprendre devant le texte et recevoir de lui les conditions d’émergence d’un soi autre que le moi, et que suscite la lecture27
Le texte littéraire mobilise diverses modes de comportements qui relèvent d’un réel qui a été transposé, à travers le temps et l’espace grâce au code sémiotique qui assure dans chaque mot la survie, la transmission du message au lecteur, lorsqu’il en dégage le sens. Cet exercice, où chaque mot est enchaîné, en acquérant un sens propre fait que le lecteur oublie les signes qu’il lit en le renvoyant aux faits réels. La lecture constitue, en classe de langue étrangère, une ouverture à l’extérieur, qui favorise la connaissance de nouvelles réalités culturelles d’où l’on peut extraire une immense variété d’images qui renvoient à cette réalité qui s’approche du lecteur à mesure qu’il la comprend, qui la fait sienne et qui se situe tout près de lui et qui se familiarise avec elle. La littérature laisse d’être étrangère et devient prochaine, tolérable même aux yeux d’un étranger qui l’ignore.
La lecture demande, aussi, une forte dose d’imagination de la part du lecteur, comme requis indispensable, pour mieux connaître le contenu qu’il lit. Il sera ému, triste parfois, connaîtra des pays lointains ou voyagera aux mondes fantastiques à mesure qu’il en découvre de nouveaux contenus culturels.
Lire : qu’est-ce que c’est ?
Le plaisir n’est pas le seul enjeu de la reconnaissance-découverte en lecture : la conscience d’une identité aussi28
Pour que la lecture ait lieu, il faut d’abord l’existence des situations de lecture, qui permettent que l’acte de lecture soit inscrit dans un processus d’énonciation, où le lecteur qui a des intentions propres de communication, participe dans un échange réciproque en prêtant son sens au texte.
Les approches communicatives considéraient déjà que, de la même manière que parler c’est communiquer, lire l’est aussi. L’acte de lecture ce n’est pas seulement recevoir un message, c’est aussi le comprendre et l’interpréter pour se fixer une idée envers ce qu’on lit. Alors, savoir lire suppose posséder une compétence de communication. La lecture c’est un savoir-faire qui permet, de la part du lecteur, la saisie du contenu grâce à des aspects linguistiques et socioculturels.
D’après Frank Smith (1978), lors du processus de lecture les yeux ne font que regarder tandis que le cerveau c’est celui qui voit. Il soutient que l’on ne perçoit « que ce que le cerveau décide qu’il y a devant nos yeux »29.
Contrairement à la pensée générale qui tend, souvent, à croire que toutes les informations se trouvent, forcément, à l’intérieur du texte, la lecture implique la confrontation avec une grande quantité d’informations qui sont dans la pensée du lecteur. Sans elles, la lecture ne produirait pas de sens et deviendrait une activité tout à fait mécanique. Pendant la lecture, le lecteur met en place une série d’opérations : d’abord la perception visuelle qui mène au repérage d’indices, puis la sélection d’un ensemble des connaissances pour, enfin, choisir des éléments inscrits à l’intérieur de cet ensemble.
Lire c’est un processus de prélèvement d’indices, qui implique des connaissances préalables qui mènent à l’emploi des grammaires. L’activité de lecture dépend moins de ce qu’il y a dans le texte que de ce qu’il y a dans la tête du lecteur. À différence, de ce que l’on croit, l’œil humain ne suit pas les lignes du texte d’une manière continue. Selon Denis Lehmann la vue se déplace d’une manière irrégulière, tantôt en sautant certains mots, tantôt en faisant des retours. Parfois la vue ne respecte même pas les lignes verticales et horizontales, en cherchant du sens. Lorsqu’on lit, on ne se limite pas à voir signe par signe, de manière à en saisir le sens à l’intérieur de l’enchaînement sémantique, au contraire, on a besoin de voir tous les signes d’un message pour avoir une meilleure impression de ce qu’il cherche à dire.
L’anticipation c’est un autre élément qui joue un rôle prépondérant dans l’activité de lecture, d’une certaine manière le lecteur est en avance sur le contenu du texte. Lorsqu’on est en train de lire on imagine déjà ce qui va suivre. Il y a, toujours, cette faculté de prévoir la continuation d’un récit. S. Moirand parle de lecture intégrale pour s’adresser à un type de lecture qui sans aboutir au déchiffrage des signes, suit l’ordre établi dans le texte. Mais, en suivant cette linéarité le lecteur adopte un regard global afin d’atteindre un panorama général du contenu. La vitesse que la lecture peut avoir dépend de nombreux facteurs, par exemple : le type de texte, la capacité du lecteur pour enlever des indices, ses possibilités d’anticipation et d’imagination à mesure qu’il avance en lisant.
Dans cette optique, la compréhension du sens que le texte offre, implique une reconstruction qui se fait grâce aux saisies d’unités sémantiques lors de la perception globale ainsi que des pistes mémorisées préalablement, souvent de façon inconsciente, et qui servent d’appui pour continuer à dégager ce qui suit. De là, l’importance d’une concentration de la part du lecteur, ainsi que d’éviter tout risque d’interférences, hors texte, qui puissent détourner son attention, en empêchant ainsi, une captation adéquate du message, car d’une bonne compréhension se tenant dès le début dépendra sa correcte interprétation, ce que vraiment l’auteur a voulu dire, puis la conclusion.
Lehmann soutient que la lecture, étant donné son caractère non linéaire, fonctionne plutôt comme stratégie que comme activité. Le lecteur ne cherche pas à absorber les éléments de la manière dont ils lui sont proposés par le texte, au contraire le lecteur réalise un repérage grâce auquel il s’approprie du sens. À mesure qu’un individu lit, celui-ci formule une série d’hypothèses leur facilitant, tantôt la lecture tantôt leur faisant reconnaître leurs fausses idées, que même leur caractère de fausseté contribuent fort à consolider, modifier, complémenter ou rejeter les antérieures et à formuler une hypothèse finale.
De cette manière, la compréhension d’un texte, comme le signale Moirand ne surgit pas d’une simple suite ordonnée de lectures, faites sur chaque phrase isolée, comme arrive, souvent, en langue étrangère, lorsqu’on comprend des phrases d’un texte d’une manière isolée, sans arriver à en tirer une interprétation globale.
Lehmann signale, d’autre part, que si la lecture, en tant que stratégie, est possible c’est parce qu’il existe une expérience de lecture de la part du lecteur. Celle-ci se consolide grâce à ses connaissances du monde, ainsi qu’à ses habitudes de lecture qu’il possède en langue maternelle. Cette condition est très importante du fait qu’elle favorise la reconstitution de bonnes hypothèses de lecture, lors de la simple perception des signes.
L’interculturel lors de l’activité de lecture
Ce qui pour le lecteur natif va de soi, est, pour le lecteur en langue étrangère, un point d’arrivée.30
Tout texte, n’importe quelle soit sa valeur réelle, ne peut être jamais la réalité exacte, elle n’est qu’une représentation de celle-ci. La lecture n’effectuerait sur lui qu’un regard sur un autre regard. La lecture d’un texte constitue un croisement de regards, donc elle est une construction plurielle, un échange entre des sujets qui ne se connaissent pas et qui ignorent quelle est leur vision du monde, mais qui parviendra à être connue à mesure que le lecteur s’engage dans la lecture : « La recherche d’une voix littéraire et d’une voix narrative passe par le détour de l’Autre. […] En partant à la découverte de l’autre, on est amené à se découvrir Soi-même en tant que cet Autre nous enrichit et nous confère une part de notre propre identité…»31.
La littérature offre, alors, à travers le processus d’investissement que réalise le lecteur, un important espace pour la rencontre de l’Autre. La diversité d’avis que l’on peut en extraire favorise la confrontation et l’interprétation des comportements différents, mêmes opposés qui mènent l’apprenant à reconnaître le statut d´autres systèmes culturels en les situant au même niveau que les siens. La lecture littéraire ne peut pas constituer uniquement une simple activité mesurant la capacité du lecteur à comprendre un écrit quelconque selon son niveau de langue. Il s’agit, plutôt, de montrer sa composante culturelle même si celle-ci ne se réalise qu’à travers des mots. L’activité de lecture ne doit non plus être le but ultime à atteindre chez les apprenants, au contraire, celle-ci peut constituer le début d’une étape de construction créative menant l’apprenant à la rédaction des textes littéraires.
La pratique d’une production scripturale : les rapports lecture-écriture
La lecture des textes littéraires peut favoriser l’écriture créatrice et réciproquement l’écriture pourra permettre une meilleure compréhension et l’analyse du contenu des textes. Les activités d’écriture créative conduisent l’apprenant à visualiser le texte non pas comme un produit fini mais comme quelque chose en train de se faire. De cette manière la participation effective de l’apprenant dans l’activité de lecture sera renforcée car il sera lui-même lecteur de son propre texte. Cette stratégie désacralise le texte littéraire, donc l’apprenant-écrivain va prendre conscience que l’écriture est un travail qui n’est pas réservé seulement à un auteur renommé.
Conclusion
La place primordiale accordée à la connaissance de soi-même et à tout ce qui compose son héritage culturel dans l’ouverture envers l’altérité, principes essentiels de la pédagogie interculturelle, trouvent dans la lecture du texte littéraire en langue étrangère une sorte de carrefour dans lequel convergent des visions diverses de la réalité. De ce fait, la lecture comme code d’accès au contenu des textes littéraires favorise progressivement l’acquisition de la compétence interculturelle, à partir du moment où elle permet une relativisation de la culture maternelle ou culture de départ par la confrontation avec la culture étrangère puis le retour à la sienne après avoir lu, étudié et compris celle de l’autre. L’essence même de l’œuvre littéraire, se trouve dans une sorte d’alliance voire de soudage qui s’établit entre l’écrivain et tous ses possibles lecteurs, placés ceux-ci de part et d’autre de la réalité. L’écrivain, lorsqu’il crée, il effectue une transformation du réel d’après les paramètres de son caléidoscope culturel. Le rattachement du lecteur à la mosaïque de critères qui constitue le contenu littéraire et le plaisir esthétique qu’il peut en tirer découlent de sa capacité à déchiffrer cette représentation de l’univers.
On peut conclure alors, que lire en langue étrangère constitue un processus engageant le lecteur dans une sorte de jeu où il doit se balancer sans cesse entre deux cultures et entre deux systèmes de références distincts, et se tenir débout tout en confrontant deux espaces différents, se disputant dans une oscillation constante entre identité et altérité.
1 Recibido: 22 de febrero de 2015; aceptado: 2 de abril de 2015.
2 Escuela de Literatura y Ciencias del Lenguaje. Correo electrónico : jcjm79@costarricense.cr
3 Cité par Amor Séoud, Pour une didactique de la littérature (Paris : Didier, 1997) 46.
4 Cité par Séoud, 191.
5 Cité par Séoud, 48.
6 Séoud, 33.
7 Amor Séoud, « Document authentique ou texte littéraire en classe de français », Études de Linguistique Appliquée 93 (1994) : 10.
8 Séoud, (1994), 10.
9 Jean Peytard, « La place et le statut du “lecteur” dans l’ensemble “public” », Semen, 1 (1983) ; « Annexes » 56-78 <http:// semen.revues.org/4231> ; voir le schéma des instances du champ littéraire : <http://semen.revues.org/docannexe/image/4231/ img-1.jpg>.
10 M. Abdallah-Pretceille, « Expérience littéraire et expérience anthropologique », Dialogues et cultures 32 (1988) : 75.
11 Séoud (1994), 57.
12 M. Abdallah-Pretceille et L. Porcher, Éducation et communication interculturelle (Paris : Presses universitaires de France, 1996).
13 Cité par G. Fréris, « Pourquoi l’analyse de l’altérité et des identités dans les littératures en français ? », Le Français dans le monde, Recherches et applications NS, juillet (2004) : 119.
14 Fréris,119
15 H. Sanwidi, « Trois écrivains burkinabè et la langue française » (C. Caitucoli, éd.), Cahiers de linguistique sociale NS (1993) : 103-115 (103-104).
16 M. Lits, Littérature comparée et reconnaissance interculturelle (Bruxelles : De Boeck-Duculot, 1994) 34.
17 Lits, 50.
18 Cité par Gohard-Radenkovic, « Pourquoi l’analyse de l’altérité et des identités dans les littératures en français ? », Le Français dans le monde, Recherches et applications NS, juillet (2004).
19 Cité par Gohard-Radenkovic, 10.
20 Cité par Gohard-Radenkovic, 10.
21 Cité par Gohard-Radenkovic, 10.
22 Séoud (1994) 144.
23 Séoud (1997) 78.
24 N. Pardon, «Lecture : les compétences à développer», Diagonales 25, janvier (1993) : 33.
25 J. Peytard, Littérature et classe de langue (Paris : Credif-Hatier, Paris, 1992) 34.
26 F. Cicurel, Lectures interactives en langues étrangères (Paris : Hachette, 1991) 134.
27 L. Maisonneuve, « La lecture chez les 16-19 ans : portraits d’élèves », Dialogues et cultures 47 (2002) : 184-188.
28 Séoud (1997) 137.
29 Cité par Séoud (1997) 78.
30 V. V. Chuong, « Procédés anaphoriques et lecture en FLE », Le français dans le monde 327, 3 (2003) : 29-30.
31 Cité par Gohard-Radenkovic, « Pourquoi l’analyse de l’altérité et des identités dans les littératures en français ? », Le Français dans le monde, Recherches et applications, numéro spécial, juillet 2004, 187.
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